Peter Wohlleben sur l’amitié des arbres

Peter Wollheben (1964 -) est ingénieur forestier en Allemagne. Alors qu’il découvre de drôles de phénomènes dans les forêts où il exerce, son plaisir de la nature renaît et c’est son travail de forestier qui prend soudain un tout autre sens que celui que la sylviculture moderne mercantile ne lui avait pas permis d’approcher. Dans son livre, La Vie secrète des arbres, Peter Wollheben raconte l’intelligence et le cœur des arbres. Mi-scientifique, mi-conte philosophique, la collection d’anecdotes de Peter Wohlleben offre un merveilleux parallélisme entre les forêts et les communautés humaines. Dans l’extrait choisi, c’est l’amitié entre les arbres que Peter Wohlleben nous conte.

Un jour qu’il parcourt une ancienne réserve de hêtres, Peter Wollheben remarque les vestiges d’une très ancienne souche d’arbre. Il n’en reste que quelques fragments et des indices permettent à Peter Wollheben d’estimer leur âge entre 400 et 500 ans. Ce qui l’étonne, c’est que les vestiges sont toujours en vie puisqu’une couche verte indique clairement la présence de chlorophylle. Peter Wollheben comprend alors que depuis toutes ces années, l’ancienne souche est maintenue en vie grâce à l’aide des arbres voisins par l’intermédiaire de leurs racines. Recevant la confirmation de la communauté scientifique que l’échange et l’entraide entre les arbres voisins est la norme, Peter Wohlleben explique que les hasards sont rares dans le fonctionnement complexe de la nature :

« Mais pourquoi les arbres ont-ils un comportement social, pourquoi partagent-ils leur nourriture avec des congénères et entretiennent-ils ainsi leur concurrents ? Pour les mêmes raisons que dans les sociétés humaines : à plusieurs, la vie est plus facile. Un arbre n’est pas une forêt, il ne peut à lui seul créer des conditions climatiques équilibrées, il est livré sans défense au vent et à la pluie. A plusieurs, en revanche, les arbres forment un écosystème qui modère les températures extrêmes, froides ou chaudes, emmagasine de grandes quantités d’eau et augmente l’humidité atmosphérique. Dans un tel environnement, les arbres peuvent vivre en sécurité et connaître une grande longévité. Pour maintenir cet idéal, la communauté doit à tout prix perdurer. »

Démontrant que tous les individus sont nécessaires à la communauté, il ajoute :

« Si chaque individu ne s’occupait que de lui-même, nombre d’entre eux n’atteindraient jamais un grand âge. Les morts successives provoqueraient de grandes trouées dans la canopée par lesquelles les tempêtes pourraient s’engouffrer et endommager la forêt. La chaleur estivale parviendrait au sol et la dessécherait. Tous les individus en souffriraient. Chaque arbre est donc utile à la communauté et mérite d’être maintenu en vie aussi longtemps que possible. Même les individus malades sont soutenus et approvisionnés en éléments nutritifs jusqu’à ce qu’ils aillent mieux. Une prochaine fois, peut-être les rôles s’inverseront-ils et ce sera l’arbre-soutien qui à son tour aura besoin d’aide. »

Alors, l’amitié entre les arbres est possible et visible si on veut bien y prêter un œil :

« Un arbre ordinaire s’étale jusqu’à ce que sa ramure rencontre l’extrémité des branches d’un voisin de même envergure. Il ne peut aller plus loin car l’espace aérien, ou plutôt l’espace lumineux est déjà occupé. Mais il met une belle énergie à renforcer ses branches latérales, comme pour s’armer contre son voisin. En comparaison, deux véritables amis veillent d’emblée à ne pas déployer de trop grosses branches en direction de l’autre. Pour ne pas empiéter sur le domaine du partenaire, chacun développe son houppier exclusivement vers l’extérieur, vers des « non-amis ». Ces couples sont liés si intimement par leurs racines qu’ils meurent parfois en même temps. »

En plus d’apporter un témoignage nouveau au grand public sur la vie des arbres, le livre de Peter Wollheben fait le cas d’une exploitation forestière raisonnée en évitant des souffrances inutiles. Peter Wollheben explique qu’une forêt heureuse est nettement plus productive et que la vie en solitaire, même pour les arbres, n’a rien d’enviable :

« Les belles amitiés qui vont jusqu’à alimenter une souche en substances nutritives s’observent uniquement dans les forêts naturelles. […] Les forêts plantées, comme le sont la plupart des forêts de conifères du centre de l’Europe, fonctionnent plutôt sur le schéma des enfants des rues dont nous parlerons plus loin. […] Les arbres de ces forêts sont des solitaires dont les conditions de vie sont particulièrement difficiles. »

Pour plus d’anecdotes sur les arbres par Peter Wohlleben :