Whitney Johnson sur pourquoi on a besoin d’apprendre

Dans son roman magistral l’Amour au temps du choléra, Gabriel Garcia Marquez (1927-2014) révèle de son personnage : « Il eut l’intime conviction que les êtres humains ne naissent pas une fois pour toutes à l’heure où leur mère leur donne le jour, mais que la vie les oblige de nouveau et bien souvent à accoucher d’eux-mêmes. »

C’est ce qu’a compris l’américaine Whitney Johnson, ancienne analyste financière à Wall Street, qui réfléchissant à son parcours personnel y applique des principes tout droit sortie du monde des affaires. A l’issue de sa collaboration avec Clayton M. Christensen, Professeur à l’Université d’Harvard rendu célèbre par sa théorie sur les innovations disruptives, Whitney Johnson comprend que cette même théorie peut tout aussi bien s’appliquer à une carrière et un parcours personnel.

Le livre de Whitney Johnson, Disrupt Yourself: Putting the Power of Disruptive Innovation to Work n’a à ce jour pas été traduit en français, c’est donc l’auteur de ce blog qui vous en présente ici une traduction depuis l’américain. Dans l’extrait choisi, Whitney Johnson dévoile pourquoi nous aimons être face à de nouveaux challenges :

« L’un des modèles les plus performants pour appréhender un environnement non-linéaire est la courbe en « S ». Historiquement, ce modèle a été utilisé pour comprendre comment s’implantent les innovations de rupture – pourquoi une courbe de croissance reste plate pendant une longue période puis monte en flèche, pour finalement se stabiliser une nouvelle fois en un plateau. Développé par E.M. Rogers en 1962, le modèle de la courbe en « S » vise à comprendre comment, pourquoi, et à quel taux, idées et produits se propagent à travers les cultures. Au début, à la base du « S », l’adoption est relativement lente jusqu’à l’atteinte d’un point de basculement formant un coude à la courbe. On arrive alors dans une phase d’hyper-croissance qui fait grimper la courbe. Ce point se trouve généralement quelque part entre 10 et 15 pour cent de pénétration du marché. Sur la partie plate en haut de la courbe en « S », on atteint une certaine saturation, qui se trouve typiquement à 90 pour cent de pénétration du marché. Je crois fermement que la courbe en « S » peut être utilisée pour comprendre les révolutions personnelles – les pivots nécessaires dans votre propre chemin de carrière. »

Après être entrée par la petite porte et avoir gravi tous les échelons, c’est au sommet de sa carrière à Wall Street que Whitney Johnson comprend qu’il est temps pour elle de se renouveler et d’effectuer sa révolution personnelle, to disrupt herself – ce que Gabriel Garcia Marquez a qualifié d’accouchement de soi-même :

« Pourquoi avoir quitté Wall Street ? […] J’étais à un point où je pouvais continuer à engager Merrill Lynch [note: le cabinet où W. Johnson travaille à l’époque] pour payer les factures, mais je ne pouvais plus l’embaucher pour la satisfaction émotionnelle qu’il m’apportait. Non seulement j’avais atteint le haut de ma courbe d’apprentissage, avec aucune perspective de sauter sur une nouvelle opportunité car mon management m’aimait « là où j’étais », mais j’ai découvert que malgré des indicateurs de performance qui étaient meilleurs de 20% en comparaison à mes pairs, nous recevions tous le même bonus. Le coût émotionnel de rester à ma place était devenu trop important, en particulier quand je n’arrivais plus à rêver au travail. »

Alors pourquoi de nouveaux défis nous font nous sentir si bien et apporte cette « satisfaction émotionnelle » ? Whitney Johnson explique :

« La courbe en « S » nous aide à comprendre la psychologie en œuvre quand nous nous « révolutionnons ». Alors que nous nous lançons dans quelque chose de nouveau, la réalisation que les progrès seront dans un premier temps certainement imperceptibles, aide à écarter le découragement. Cela aide aussi à reconnaître pourquoi la période de croissance de la courbe d’apprentissage est aussi agréable. Quand vous apprenez, vous ressentez les effets de la dopamine, un neurotransmetteur dans le cerveau qui vous fait vous sentir bien. C’est la version « bureau » de la recherche de sensations fortes ! Une fois que l’on atteint le plateau supérieur de la courbe en « S » et que les choses deviennent habituelles et automatiques, nos cerveaux créent moins de ces substances chimiques qui font se sentir bien et l’ennuie peut alors s’installer, faisant d’une révolution personnelle un cas émotionnel. Au summum d’une carrière, s’ajoute le spectre de la concurrence venant du dessous, ainsi que le risque de penser que nous sommes la cause de notre propre perte, si l’on a atteint la partie de la courbe qui ne nous satisfait plus émotionnellement. Quand notre carrière ne nous donne plus de satisfactions émotionnelles, nous risquons de finir par mal faire notre travail. »

Pourtant, sauter sur une nouvelle vague d’apprentissage n’est pas si simple. Whitney Johnson avoue :

« La montagne qui se dresse alors peut sembler insurmontable, mais la courbe en « S » aide à comprendre que si nous continuons à travailler, nous pouvons atteindre ce point d’inflexion où notre compréhension et nos compétences vont soudainement grimper en flèche. C’est la partie agréable d’une révolution personnelle, où l’on atteint de nouveaux sommets de succès et d’accomplissement. Puis, on arrive finalement à un plateau où notre croissance se stabilise. Il est alors temps de songer à de nouvelles manières de se révolutionner une fois encore.« 

Pour retrouver la version originale du texte :