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C’est l’été, L ‘ I N C O L O R E vous propose ses recommandations de romans :

Sur l’art, la création et la liberté

Just Kids, Patti Smith

L’auteur de ce blog doit avouer une chose : je possède trois exemplaires de Just Kids. Deux exemplaires en anglais achetés à Londres, dont un dédicacé par Patti Smith (1946-) (je n’étais malheureusement pas présente lors de la dédicace, mais la librairie en offrait encore deux exemplaires signés !). Et une version folio poche en français, que j’ai tout annoté et souligné, et que j’ai presque toujours dans un de mes sacs quand je voyage, dans l’éventualité où je voudrais y jeter un œil (ce que je fais souvent). Je convoite depuis plusieurs mois la version illustrée de Gallimard qui est sortie à la fin 2017. Just Kids est la bouleversante oeuvre autobiographique de Patti Smith, retraçant ses débuts créatifs avec son ami et âme sœur, le photographe Robert Mapplethorpe, jusqu’à la mort de ce dernier en 1989 du sida. Attention, émotions ! Le livre est aussi un magnifique témoignage du New York artistique des années 1970 :

« C’était l’été de la mort de Coltrane. L’été de « Crystal ship ». Les enfants fleurs levaient leurs bras vides et la Chine faisait exploser la bombe H. A Monterey, Jimi Hendrix mettait le feu à sa guitare. « Ode to Billie Joe » passait en boucle sur les grandes ondes. Des émeutes éclataient à Newark, Milwaukee et Detroit. C’était l’été d’Elvira Madigan, l’été de l’amour. Et dans cette atmosphère instable, inhospitalière, le hasard d’une rencontre a changé le cours de ma vie. C’est l’été où j’ai rencontré Robert Mapplethorpe. » – Just Kids, Patti Smith

Vie de David Hockney, Catherine Cusset

A l’occasion de la rétrospective de Beaubourg en 2017, la maison d’édition Gallimard propose à Catherine Cusset (1963-) de rédiger un essai personnel sur le célèbre peintre contemporain David Hockney. Au lieu d’un essai, Catherine Cusset écrit un roman Vie de David Hockney publié en début de l’année 2018. Elle témoigne ainsi de son projet littéraire en introduction du livre :

« Ce livre est un roman. Tous les faits sont vrais. J’ai inventé les sentiments, les pensées, les dialogues. Il s’agit plus d’intuition et de déduction que d’invention à proprement parler : j’ai cherché la cohérence et lié les morceaux du puzzle à partir des données que j’ai trouvées dans les nombreux essais, biographies, entretiens, catalogues, articles publiés sur et par David Hockney. » – Vie de David Hockney, Catherine Cusset

Sur la société

Le Temps de l’Innocence, Edith Wharton

Grand admirateur de l’oeuvre d’Edith Wharton (1862-1937) Le Temps de l’Innocence, le réalisateur Martin Scorsese (1942-) a réalisé en 1993 le film du même nom. Merveilleuse adaptation du livre – et c’est chose rare, mettant en avant un casting de rêve incluant Michelle Pfeiffer, Daniel Day-Lewis, Winona Ryder, Géraldine Chaplin. Le superbe et très fin livre d’Edith Wharton dépeint les codes de la société new-yorkaise des années 1870. Pour ses personnages et les défis auxquels ils font face, le livre pourrait être résumé par cette phrase de Ralph Waldo Emerson : « Rester soi-même dans un monde qui tente constamment de vous changer est le plus grand accomplissement ». Pour moi, l’un des livres les plus parfaits qui soit dans sa structure et ses suggestions.

« Quand Newland Archer ouvrit la porte de la loge réservée à son cercle, le rideau venait de se lever sur la scène du jardin. Le jeune homme aurait pu arriver plus tôt, car il avait dîné à sept heures, seul avec sa mère et sa sœur, et avait lentement fumé son cigare dans la bibliothèque aux meubles gothiques, la seule pièce où Mrs Archer permettait qu’on fumât. Il s’était attardé, d’abord, parce que New York n’était pas une de ces villes de second rang où l’on arrive à l’heure à l’opéra,- et ce « qui se fait  » ou ce « qui ne se fait pas » jouait un rôle aussi important dans la vie de Newland Archer que les terreurs superstitieuses dans les destinées de ses aïeux, des milliers d’années auparavant. » – Le Temps de l’Innocence, Edith Wharton

Vernon Subutex (Vol. 1, 2, 3), Virginie Despentes

Durant trois tomes, Virginie Despentes (1969-) nous invite à suivre Vernon Subutex, ancien disquaire devenu SDF suite à la crise du disque. Hébergé par une galerie de personnages tous plus différents les uns que les autres, le périple de Vernon nous offre à voir une cartographie de la société française. Certainement le livre le plus contemporain de cette sélection.

« QUI EST VERNON SUBUTEX ?
Une légende urbaine.
Un ange déchu.
Un disparu qui ne cesse de ressurgir.
Le détenteur d’un secret.
Le dernier témoin d’un monde disparu.
L’ultime visage de notre comédie inhumaine.
Notre fantôme à tous. »

Tous les Hommes sont Mortels, Simone de Beauvoir

En 1946, la philosophe française Simone de Beauvoir (1908-1986) publie Tous les Hommes sont Mortels. Son projet littéraire est décrit de la manière suivante :

«Si l’on nous offrait l’immortalité sur la terre, qui est-ce qui accepterait ce triste présent ? demande Jean-Jacques Rousseau dans l’Émile. Ce livre est l’histoire d’un homme qui a accepté.»

Une récente exposition intitulée The Future Starts Here vu au Victoria & Albert Museum à Londres a fait résonner encore plus précisément en moi ce livre de Simone de Beauvoir, alors que la science envisage l’immortalité. De réelles questions !

Sur l’amour et la magie

L’Amour aux Temps du Choléra, Gabriel Garcia Marquez

L’auteur colombien Gabriel Garcia Marquez raconte une histoire d’amour qui dure plus de 50 ans. A la fin du 19è siècle, dans une petite ville des Caraïbes, le jeune Florentino tombe amoureux de Fermina. Pendant trois ans, les deux amoureux se promettent un amour éternel, mais contre toute attente Fermina épouse Juvenal Urbino, ambitieux médecin. Pendant 50 ans, Florentino monte les échelons sociaux et attend son heure, certain que celle-ci viendra !

« Telle fut l’innocente façon dont Florentino Ariza inaugura sa vie mystérieuse de chasseur solitaire. Dès sept heures du matin, il s’asseyait seul sur le banc le moins visible du parc, feignant de lire un livre de poèmes à l’ombre des amandiers, et attendait de voir passer la jeune et inaccessible demoiselle avec son uniforme à rayures bleues, ses chaussettes montant jusqu’aux genoux, ses bottines à lacets de garçon et, dans le dos, attachée au bout par un ruban, une natte épaisse qui lui descendait jusqu’à la taille. Elle marchait avec une arrogance naturelle, la tête haute, le regard immobile, le pas rapide, le nez effilé, son cartable serré contre sa poitrine entre ses bras croisés, et sa démarche de biche semblait la libérer de toute pesanteur. A son côté, allongeant le pas à grand-peine, la tante, avec son habit de franciscaine, ne laissait pas le moindre interstice qui permît de s’approcher d’elle. Florentino Ariza les voyait passer quatre fois par jour, à l’aller et au retour, et une fois le dimanche à la sortie de la grand-messe, et la vue de la jeune fille lui suffisait. Peu à peu il se mit à l’idéaliser, à lui attribuer des vertus improbables, des sentiments imaginaires, et au bout de deux semaines il ne pensait plus qu’à elle. »

Les Amants du Spoutnik, Haruki Murakami

K aime Sumire qui aime Miu. Un garçon aime une fille qui en aime une autre. Entre rêve et réalité, le livre de l’auteur japonais Haruki Murakami (1949-), Les Amants du Spoutnik raconte avec beaucoup de finesse une histoire d’amour peu banale :

« Au printemps de sa vingt-deuxième année, Sumire tomba amoureuse pour la premièe fois de sa vie. Cet amour aussi dévastateur qu’une tornade dans une vaste plaine ravagea tout sur son passage, lançant des choses dans les airs, les réduisant en menus morceaux, les écrabouillant sans ménagement. Avec une violence qui ne connait pas un instant de relâchement, la tornade souffla sur les océans, réduisit sans pitié le site d’Angkor Vat à Néant, incendia la jungle indienne et les malheureux tigres qui y vivaient encore, se mua au-dessus des déserts de perse en une tempête de sable qui engloutit toute une ville fortifiée au charme exotique. L’objet en amour absolument mémorable était marié, avait dix-sept ans de plus que Sumire et, surtout, était une femme. C’est de là que partit toute cette histoire, et là aussi qu’elle s’acheva (ou presque). »

En résumé :